Dilma Rousseff ayant été écartée en 2016 de la présidence de la République du Brésil, quel bilan peut-on tirer des politiques sociales élaborées par les gouvernements conduits par le Parti des travailleurs (PT) ? Au cours de la période 2003-2015, les politiques menées par Luis Ignacio Lula da Silva (2003-2010) puis par Dilma Rousseff (2011-2016) dans ce domaine ont fait l’objet d’intenses discussions, y compris parmi les spécialistes, et les critiques de ces mesures, à gauche comme à droite du PT, ont été nombreuses.
À gauche, ces politiques sociales ont été perçues, dans le meilleur des cas, comme limitées, dans la mesure où elles n’ont pas eu pour objet ou permis de modifier la structure oligarchique et inégalitaire de la société brésilienne. Quelques-unes de ces mesures ont mêmes été présentées par la gauche d’opposition comme un recul en termes de droits des travailleurs. Le leitmotiv général étant que les politiques sociales de ces gouvernements n’ont pas eu l’importance que le discours officiel voulait leur donner, et qu’elles sont restées marginales et dépendantes d’une politique macroéconomique marquée par le triple objectif de contrôle de l’inflation, d’obtention d’un excédent budgétaire primaire et de flexibilité du taux de change. La politique des gouvernements successifs serait donc restée fondée sur le respect des intérêts des créanciers du pays.
À droite, notamment celle qui s’exprime dans les grands médias audiovisuels et de la presse écrite, les critiques ont également été nombreuses : en premier lieu, la politique de transfert de revenus (programme Bolsa Família destiné à lutter contre la pauvreté) empêcherait l’embauche de travailleurs à bas coût sur l’ensemble du territoire national, comme c’était le cas auparavant, avec des effets à la hausse sur les salaires les plus faibles ; ensuite, l’augmentation du salaire minimum réel est un facteur d’augmentation du coût du travail qui affecterait la compétitivité des produits brésiliens à l’étranger ; enfin, l’évolution à la hausse des dépenses sociales, perçue comme incontrôlable, empêcherait le maintien d’une croissance durable. S’ajoutent parfois à ces arguments des jugements de nature morale : toute personne apte à travailler, même très pauvre, ne devrait pas pouvoir bénéficier d’aides monétaires, au risque qu’elles ne renforcent le « côté paresseux des individus » (sic).
Nous ne prétendons pas analyser ici l’ensemble des politiques considérées comme « sociales » (au sens large) mises en œuvre par Lula et Dilma. Celles-ci sont nombreuses et concernent divers domaines, comme le logement (programme Minha Casa Minha Vida visant à favoriser l’accès à la propriété, via notamment des conditions assouplies d’obtention de prêts immobiliers), l’éducation (les programmes ProUni et FIES destinés à proposer respectivement des prêts avantageux et des bourses aux étudiants, politique des quotas comprenant des mesures de discrimination positive sur des critères ethniques et de revenus, création de près d’une vingtaine de nouvelles universités et multiplication des places dans l’enseignement supérieur public), la santé, les retraites, le marché du travail (augmentation significative du revenu réel moyen et forte baisse du niveau de chômage), l’intégration sociale, etc. Nous nous limitons ici au bilan de ce qui est traditionnellement considéré comme une partie importante de la protection sociale garantie et/ou organisée par l’État, à savoir, celle couverte par les retraites, le programme Bolsa Família, la politique de salaire minimum d’une part et d’enseignement supérieur et de santé de l’autre. Il y a là suffisamment de questions à aborder pour dresser un bilan des principales politiques sociales des gouvernements PT.
Les deux articles qui composent ce dossier montrent que ces politiques sociales sont ambivalentes. D’un côté, elles ont indiscutablement permis une amélioration des conditions de vie des habitants des régions les plus pauvres du pays, principalement grâce au programme Bolsa Família et à l’augmentation du salaire minimum, ainsi qu’une augmentation significative du nombre d’inscriptions dans l’enseignement supérieur. De l’autre, les moyens ou les instruments choisis pour permettre cette amélioration de revenu ou de salaire ont laissé globalement intactes les structures séculaires à l’origine de la pauvreté et des inégalités dans le pays, tels que la concentration des terres et le poids du secteur informel, dans lequel les travailleurs restent sans droits sociaux, par exemple. Enfin, dans le champ de l’éducation, les principaux bénéficiaires des politiques sociales de Lula et Dilma a été le secteur privé et les investisseurs internationaux ; quant à la santé publique, sa situation financière s’est détériorée.
Rosa Maria MARQUES, Salomão Barros XIMENES et Camila Kimie UGINO *
* Rosa Maria Marques est professeur titulaire du Département d’économie et du programme d’études de troisième cycle en économie politique à l’Université pontificale catholique (PUC) de São Paulo, et coordinatrice du groupe de recherches « Politiques pour le développement humain » ; Salomão Barros Ximenes est professeur adjoint du Centre d’ingénierie, modélisation et sciences sociales appliquées et du Programme d’études de troisième cycle en politiques publiques à l’Université fédérale de l’ABC ; Camila Kimie Ugino est professeur du département d’économie à l’Université pontificale catholique (PUC) de São Paulo et membre du groupe de recherches « Politiques pour le développement humain ».