C’est dans un contexte singulier qu’a été lancée à l’été 2015 l’ouverture des négociations pour le renouvellement des conventions collectives des dits « Big 3 » de l’auto-mobile étasunienne (General Motors, Ford et Chrysler), bien qu’ils ne méritent plus cette appellation 1. Il convient en effet de rappeler que le syndicat de l’automobile, l’United Auto Workers (UAW), a accepté à partir de 2007 l’introduction d’un système de salaire à deux vitesses pour les ouvriers nouvellement embauchés (Tier 2) et le gel du salaire horaire pour les ouvriers en poste (Tier 1) ; par ailleurs, le gouvernement américain a imposé en 2009 à General Motors (GM) et à Chrysler une véritable cure d’amincissement en contrepartie de leur sauvetage financier par le Trésor, invitant Fiat à entrer au capital de Chrysler à l’occasion de la crise, qui a fini par en acquérir la totalité et former le groupe italo-étasunien Fiat Chrysler Automobiles (FCA) en janvier 2014. Cette restructuration à marche forcée a manifestement porté ses fruits. À partir de 2010, les « Big 3 » ont en effet renoué avec les profits et les ventes de voitures sont à la hausse, ayant même atteint des chiffres record pour 2015.
Dans ce contexte, le principal enjeu des négociations pour l’UAW et son nouveau président, Dennis D. Williams, était donc de faire partager aux travailleurs syndiqués des « Big 3 » les fruits de ce redressement spectaculaire après une quasi-décennie de concessions salariales. Il s’agissait de revenir à des temps meilleurs pour ces derniers en abolissant notamment la grille de salaire à deux vitesses introduite juste avant la crise, sachant qu’ils ont depuis 2008 abandonné environ la moitié de l’avantage salarial dont ils jouissaient par rapport aux ouvriers des autres industries manufacturières. Du côté des directions des « Big 3 », l’enjeu était de maintenir leur compétitivité recouvrée, voire de rechercher de nouvelles économies, après avoir obtenu une baisse drastique de leurs coûts de production et être parvenus à un quasi-alignement par rapport à ceux de leurs concurrents étrangers.
Pour apprécier pleinement les résultats des accords contractuels qui ont été trouvés chez les « Big 3 » à l’automne 2015, il est utile de rappeler brièvement : 1) le mouvement de restructuration et de reconfiguration auquel a été confronté le secteur automobile étasunien à partir des années 2000 ; 2) la rupture sans précédent qu’ont constitué les accords contractuels de 2007, puis l’aide financière exceptionnelle apportée en 2009 par le gouvernement fédéral à deux de ses plus grandes entreprises, GM et Chrysler, une évolution que l’UAW, le principal syndicat de l’automobile, a largement accompagnée dans une logique de coopération avec les employeurs pour préserver l’emploi avant tout. On pourra alors s’interroger sur la nature de la sortie de crise pour les « Big 3 » et sur son caractère durable ou non, compte tenu de leurs orientations stratégiques et des nouvelles menaces concurrentielles auxquelles ils sont confrontés.