Cet article se propose de contribuer à la compréhension des motivations conduisant les grandes entreprises à développer l'épargne salariale. À partir d'une mise en perspective théorique et historique de l'épargne salariale en France, nous développons d'abord l'hypothèse selon laquelle ce dispositif n'est pas seulement construit comme un instrument d'incitation des salariés à l'effort. Sous certaines conditions, il permet aussi aux entreprises de répondre à des objectifs de maîtrise de coûts salariaux et de stabilisation du capital. L'étude pratique du cas d'un groupe français de matériaux de construction permet ensuite d'illustrer cette hypothèse. Depuis le début des années 1990, Saint-Gobain semble miser sur l'épargne salariale tant pour réformer sa politique de rémunération que pour s'adapter à l'évolution des formes de contrôle et de détention de son capital. Selon les propos du président du conseil d'administration de Saint-Gobain, la promotion de l'épargne salariale s'inscrit alors dans une stratégie d'association du personnel à l'action de la direction, voire de soutien face à une pression accrue exercée par les marchés financiers. S'il est clair que l'épargne salariale procure aux salariés des revenus supplémentaires lorsque les résultats et la valorisation boursière le permettent, un tel dispositif participe cependant d'une logique de transfert partiel des risques des actionnaires vers les salariés.